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RENCONTRE AVEC ASTRID WHETTNALL, LAURENCE DANS LA SERIE « DE GRACE »

Astrid Whettnall est le genre d’actrice qui vit ses personnages comme très peu. Dans la série « De Grâce », elle est Laurence, femme d’un docker interprété par Olivier Gourmet. Rencontre avec la lauréate du Magritte de la meilleure actrice 2017. Thibaut Demeyer.

Découverte dans « Au nom du fils » de Vincent Lannoo, Astrid Whettnall n’a de cesse d’illuminer les écrans de cinéma et de télévision à travers des personnages forts, passionnants qui ont toujours des choses importantes et intéressantes à dire.

En ce début d’année, son actualité est riche. Présente dans la série « De grâce », qui sera diffusée sur ARTE dès le 31 janvier 2024, on la retrouvera aux côtés de Franck Gastambide dans le remake d’Henri Georges Clouzot « Le salaire de la peur » dont elle dira « c’est une variante et heureusement car dans le film d’Henri Georges Clouzot il y a beaucoup de propos sexistes ou racistes. Aujourd’hui, cela ne passerait plus du tout » ; ensuite, elle sera une actrice richissime autrichienne « avec un caractère de chien qui se plaint tout le temps mais tout en étant très drôle » dans la série « Winter Palace » et enfin dans la comédie dramatique « Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan ». Reste une inconnue : « Baron noir » saison 4 ? « La porte n’est pas fermée » nous confie Astrid Whettnall qui laisse dès lors planer le suspense.

Pour l’heure, Astrid Whettnall est Laurence, la femme d’un docker au Havre.

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Dans « De grâce » tu interprètes le rôle de Laurence, la femme d’Olivier Gourmet. Une femme forte qui se sacrifie pour la carrière de son mari, pour ses enfants et surtout garder le bateau familial à flot. Un personnage fort est une certaine récurrence dans ta filmographie, que ce soit dans « Au nom du fils », « Sur la route d’Istanbul », « Baron noir » et même « Le mystère Henri Pick » où tu interprètes une directrice d’édition. Qu’est-ce qui t’attire dans ce genre de personnage et comment la décrirais-tu ?

Laurence est un peu une femme « d’hier ». On assiste au réveil d’une femme de deux générations. Elle ne se plaint jamais, tombe à genoux, se relève, retombe, le destin la fracasse mais elle ne va jamais se plaindre. Elle est très instinctive et va comprendre ce qui ne va pas puisqu’elle va découvrir qu’il y a beaucoup de mensonges, de non-dit autour d’elle. Elle va à la recherche de la vérité comme si c’est la seule manière de sauver ses enfants et la génération future. Elle est courageuse, ne s’économise jamais, n’essaie jamais de s’excuser, elle ne ferme pas les yeux, elle essaie de comprendre et s’offre à tous les dangers. C’est ce qui va, entre autres, sauver cette famille. J’ai trouvé cela symboliquement très fort surtout par rapport à tout ce qui sort aujourd’hui dans tous les sens. Ce sont vraiment de très beaux rôles de femmes tout comme dans cette série.

A l’instar de Marion Cotillard, as-tu besoin d’informations sur tes personnages, quitte à leur inventer un passé, pouvant même remonter à leur enfance ?

Oui. Pour cette femme, j’ai besoin de comprendre certaines choses comme ses rapports familiaux, comment se fait-il que Laurence soit comme elle est quand on la découvre. Elle est rude, forte, jamais dans la séduction sociale, elle n’a pas les mots pour dire les sentiments. C’est une femme qui est plus à l’aise avec les hommes, cela se voit. Si elle n’était pas née dans cette société patriarcale, elle aurait pu faire des études et avoir un métier. Cela me touchait très fort de la voir se sentir peut-être humiliée, d’être en compagnie de sa fille qui a peut-être un autre vocabulaire qu’elle, sa fille qui est avocate à Paris. Et donc pour interpréter au mieux mon personnage, j’ai besoin de connaître son enfance, comment elle a rencontré Pierre son mari, comment cela s’est passé au début car son mari, c’est l’amour de sa vie, elle l’idolâtre. J’ai besoin de connaitre tout cela pour comprendre chaque scène. Comment elle s’exprime, pourquoi il y a des silences pour que je puisse les comprendre.

Comment parviens-tu à retranscrire tout cela ?

A force de lire le scénario, de réfléchir sur son passé, de comprendre les rapports avec les personnes qui l’entourent, la manière de parler, de marcher, de faire bouger son corps.

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Cette série défend aussi les valeurs familiales. C’est aussi important pour toi de défendre ces valeurs ?

Je suis heureuse que l’on assiste au réveil de Laurence, dans cette série, qu’elle prend sa place dans la société et en tant que mère, elle ne reste pas effacée. On imagine ses tâches quotidiennes à la maison mais j’ai l’impression que sa place de mère est réellement incarnée justement au moment où cette famille va s’effondrer. C’est là qu’elle est révélée en tant que mère. Je trouve cela très beau dans la série et très symbolique aussi. 

Peut-on considérer Laurence comme une héroïne ?

Elle fait partie de ces personnages qui sont des héros du quotidien qui me touche très fort. Il y a des milliers de Laurence, j’en connais tellement des Laurence et j’adore ces femmes-là. Ce sont des exemples pour moi, elles m’inspirent. Je peux même dire que ce sont des femmes ou des hommes que j’admire beaucoup.

Pour que cette histoire familiale tienne la route, il faut que le spectateur puisse croire en cette famille. Comment avez-vous pratiqué en amont pour donner cette impression d’une famille soudée ?

On s’est tous rencontré à Paris pour une première lecture, soit un bon mois avant de tourner. Et, c’est incroyable, il y avait les deux scénaristes, le réalisateur et nous, les rôles principaux. IL y avait une évidence, on en parlait même entre nous, je trouve que même physiquement Pierre Lottin et Margot Bancilhon se ressemblent très fort physiquement (ndlr : ils sont frère et sœur dans la série). On était un peu comme une troupe de théâtre où l’égo était mis de côté, où on travaillait tous pour le réalisateur. Ce qui nous a beaucoup aidé, c’est que les 15 premiers jours du tournage, toutes les scènes de la maison ont été tournées sur ces 15 premiers jours. Donc, dès le début, on a tout le temps été en famille. Cette famille s’est donc construite naturellement durant ces quinze premiers jours de tournage.

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Cela signifie que lorsqu’il y a une bonne ambiance sur le plateau, cela facilite le travail de l’acteur ?

Bien sûr ! Moi les plateaux où il y a une ambiance de dominant en quête de pouvoir ou des personnes qui ont un égo surdimensionné qui jouent tout seul, cela ne m’aide absolument pas du tout dans le processus de création ! Par contre, quand nous sommes tous ensemble, c’est comme une troupe de théâtre, c’est du travail collectif qui peut que nous nourrir les uns, les autres.

La série est réalisée par Vincent Cardona, réalisateur notamment de « Les Magnétiques ». Le fait que ce soit lui le réalisateur a été un des critères pour accepter le rôle ?

Quand je choisis un rôle, c’est presque d’abord pour le réalisateur ou la réalisatrice. Parfois même avant le scénario parce que c’est lui qui va tout faire.

La série se passe dans le milieu des dockers. Quel regard portes-tu sur ce milieu si particulier ?

C’est vraiment une très bonne question et c’est très intéressant. Il y a la famille puis le Havre et le monde des dockers dans la série. Ce monde, je ne le connaissais pas du tout. A la lecture du scénario, j’ai trouvé que c’était écrit de manière très intéressante et pas de manière manichéenne. On comprend à quel point ils sont soumis à une pression. On mélange souvent le monde des dockers à celui de la drogue sans trop de détails et de manière brutale. Alors que dans la série, ce monde est décrit avec tellement de respect. On comprend toute la complexité dans laquelle ils sont avec ces pressions socio-économiques, mais aussi des cartels. Ils sont coincés. C’est très compliqué. Un docker, on va lui proposer 60.000 euros pour avoir son badge 5 ou 10 minutes et pouvoir rentrer sur les docks et sortir une cargaison d’un container. On peut comprendre que c’est tentant et ce qui est dramatique c’est qu’après, c’est la porte ouverte à l’enfer pour eux car ils sont soumis à des pressions d’une violence extrême. Ils peuvent être menacés, leur famille aussi. C’est tellement complexe. Je trouve aussi que le rôle du secrétaire général, interprété par Xavier Beauvois, est extrêmement bien écrit, avec tellement d’intelligence parce qu’on aurait pu voir quelqu’un de corrompu comme on se l’imagine et là, on voit le secrétaire général du syndicat qui essaie de protéger ses hommes, que tout n’est pas simple, qu’il est obligé de fermer les yeux sur certaines choses pour pouvoir mieux le faire, pour protéger ce monde des docks, parce que ce syndicat a un pouvoir gigantesque à un point tel qu’ils ont le pouvoir de fermer le port.

(c) photos : Sylvia Galmot sauf photo d’accroche (c) Thibaut Demeyer

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